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LE GRAND VOYAGE Page 3


  Ils forcèrent les chevaux à descendre le talus escarpé. Leurs sabots glissèrent sur la terre fine et tous furent précipités à grand renfort d’éclaboussures dans le courant violent qui les entraîna en aval. C’était plus profond qu’Ayla ne l’avait prévu. Après un instant de panique, les chevaux s’habituèrent à ce nouvel élément et entreprirent de nager à contre-courant jusqu’à la rive opposée. Comme ils remontaient la pente douce de la berge, Ayla chercha Loup des yeux, et l’aperçut sur la rive qu’ils venaient de quitter, jappant et couinant, courant de droite et de gauche.

  Il n’ose pas sauter, constata Jondalar.

  Allez, Loup ! Saute ! l’encouragea Ayla. Vas-y, tu peux nager. Mais le jeune loup continuait à gémir, la queue entre les pattes.

  — Qu’est-ce qui lui prend ? Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il traverse une rivière, s’énerva Jondalar, exaspéré par ce nouveau retard. Il avait espéré parcourir une longue étape aujourd’hui, mais tout semblait se liguer contre lui.

  Ils avaient levé le camp à une heure tardive, ensuite ils avaient dû pousser vers le nord-ouest, une direction qu’il eût préféré éviter, et voilà que Loup refusait de traverser l’eau. Il savait aussi qu’ils devraient s’arrêter pour vérifier le contenu des paniers, bien que leur tissage serré les rendît quasiment imperméables. Et pour compléter le tableau, il était trempé et il se faisait tard. Le vent fraîchissait, or ils devraient changer de vêtements et faire sécher ceux qu’ils portaient. En été, les jours étaient plutôt chauds, mais la nuit, les vents hurlants apportaient le souffle polaire du glacier. Partout sur la terre on subissait l’effet du glacier gigantesque qui écrasait les terres du nord sous des couches de glace hautes comme des montagnes, mais nulle part autant que dans les steppes froides qui le bordaient.

  S’il n’avait pas été si tard, ils auraient voyagé dans leurs habits trempés. Le vent et le soleil les auraient séchés. Jondalar était impatient de descendre dans le sud, ne serait-ce que pour allonger leur étape... si seulement ils pouvaient se remettre en route.

  — Le courant est trop rapide, il n’a pas l’habitude, remarqua Ayla. Il doit d’abord sauter dedans, c’est nouveau pour lui.

  — Que vas-tu faire ?

  — Si je ne réussis pas à le décider, j’irai le chercher.

  — Ayla, je suis sûr que si nous nous mettons en route, il sautera pour te suivre. Si nous voulons avancer un peu aujourd’hui, il faut partir tout de suite.

  Le regard de mépris courroucé qu’elle lui jeta lui fit regretter ces dernières paroles.

  — Ça te plairait, toi, qu’on t’abandonne quand tu as peur ? riposta-t-elle. Il n’ose pas sauter dans l’eau parce que c’est nouveau pour lui. C’est normal, non ?

  — Mais je voulais dire... enfin, Ayla, ce n’est qu’un loup, et les loups savent nager. Il a seulement besoin d’une bonne raison pour se jeter à l’eau. S’il ne nous rattrape pas, nous reviendrons le chercher. Je n’ai jamais envisagé un seul instant de l’abandonner, tu sais.

  — Inutile de revenir le chercher, j’y vais maintenant, déclara Ayla. Elle tourna le dos à l’homme pour encourager Loup à sauter, et fit entrer Whinney dans l’eau. Le louveteau poussait des gémissements, reniflait le sol labouré par les sabots, et leur jetait des regards implorants. Guidant sa jument dans le courant, Ayla appela le loup, mais au milieu de la rivière, Whinney, sentant le sol se dérober sous ses sabots, hennit de peur et se débattit à la recherche de la terre ferme.

  — Allez, Loup, viens ! Allez, ce n’est que de l’eau, saute ! cria Ayla, tentant d’obtenir par la cajolerie que le jeune animal effarouché se jette dans l’eau tourbillonnante.

  Décidant alors de nager jusqu’à la rive escarpée, elle se laissa glisser du dos de Whinney. Loup rassembla enfin son courage et sauta. Il tomba dans l’eau avec un grand plouf et se mit aussitôt à nager vers Ayla.

  — Bravo, Loup, c’est bien !

  Whinney fit demi-tour, luttant pour reprendre pied, et Ayla, tenant Loup d’une main, essaya de la rejoindre. Jondalar, qui était entré dans l’eau jusqu’à la poitrine, calma Whinney et s’avança au-devant d’Ayla. Ils regagnèrent la berge tous ensemble.

  — Eh bien, dépêchons-nous, si nous voulons avancer un peu aujourd’hui ! lança Ayla en remontant sur Whinney, l’œil toujours brillant de colère.

  — Non, arrête ! s’exclama Jondalar en la retenant. Nous ne partirons pas avant que tu aies changé tes vêtements trempés. D’ailleurs, nous ferions mieux de frictionner les chevaux pour les sécher, et Loup aussi. Nous avons fait assez de chemin pour aujourd’hui. Nous camperons ici, ce soir. J’ai mis quatre ans pour arriver jusqu’ici, je me moque pas mal d’en mettre autant pour rentrer chez moi, du moment que je t’y conduis saine et sauve, Ayla.

  L’inquiétude et l’amour qu’Ayla lut dans les yeux si bleus de Jondalar eurent raison de sa colère. Elle se blottit contre lui. Il chercha ses lèvres, et comme la première fois, lorsqu’il lui avait montré ce qu’était un baiser, elle ressentit un plaisir merveilleux. A la pensée qu’ils voyageaient ensemble et qu’elle l’accompagnait chez son peuple, une joie ineffable la submergea. Elle l’aimait plus qu’elle n’aurait su le dire, davantage encore après ce long hiver où elle avait cru qu’il ne l’aimait pas et qu’il partirait sans elle.

  Lorsqu’elle était retournée dans la rivière, il avait craint pour sa vie, et maintenant il la serrait dans ses bras. Il n’aurait jamais cru possible d’aimer quelqu’un à ce point. Avant Ayla, il ne se savait pas capable d’un tel amour. Il avait même failli la perdre, convaincu qu’elle resterait avec l’homme à la peau sombre et aux yeux rieurs, et il ne supportait pas l’idée de la perdre une seconde fois.

  Avec pour compagnons deux chevaux et un loup, dans un monde qui ignorait que les animaux pussent s’apprivoiser, un homme seul avec la femme qu’il aimait, au milieu de vastes prairies glacées, peuplées d’animaux d’innombrables espèces mais où l’homme était rare, se préparait pour un Voyage à travers tout un continent. Parfois, l’idée qu’un malheur pût s’abattre sur Ayla le pétrifiait de peur. Dans ces moments-là, il voulait la serrer contre lui pour toujours.

  Jondalar sentit la chaleur du corps d’Ayla, l’abandon de son baiser, et le désir monta en lui. Mais cela attendrait. Elle était trempée et glacée, elle avait besoin d’un feu et de vêtements secs. Ce rivage offrait un bon emplacement pour camper, et s’il était encore tôt pour s’arrêter, eh bien, ils auraient au moins le temps de sécher leurs habits et ils partiraient le lendemain à la première heure.

  — Loup ! Lâche ça ! s’écria Ayla en se précipitant pour arracher au jeune animal l’objet enveloppé dans une peau. Je croyais t’avoir appris à ne pas jouer avec le cuir.

  Elle essaya de le lui ôter de la gueule, mais il raffermit sa prise en serrant les dents, et secoua la tête dans tous les sens en grognant par jeu.

  — Lâche ça ! ordonna Ayla en faisant mine de lui taper le museau. Penaud, Loup rampa docilement, la queue entre les pattes, et déposa son butin aux pieds d’Ayla, couinant pour se faire pardonner.

  — C’est la deuxième fois qu’il fouille dans les bagages, remarqua Ayla en ramassant les paquets que le louveteau avait mordillés. Il sait que c’est interdit, mais il ne résiste pas aux peaux de bêtes.

  — Je ne sais pas quoi te dire, intervint Jondalar en aidant Ayla. Il lâche prise dès que tu lui demandes, mais tu n’es pas toujours là et puis, tu ne peux pas le surveiller tout le temps... Qu’est-ce que c’est ? Je ne me souviens pas d’avoir déjà vu ça, ajouta-t-il, en saisissant un paquet enveloppé avec soin dans une peau finement tannée.

  Ayla rougit et lui prit vivement le paquet des mains.

  — C’est... c’est quelque chose que j’ai rapporté... de... du Camp du Lion, assura-t-elle et elle enfouit l’objet au fond d’un de ses paniers. Sa réaction surprit Jondalar. Ils avaient tous deux limité leurs bagages au strict minimum, n’emportant que l’essentiel. Le paquet en question n’était pas très encombrant, mais pas négligeab
le non plus. Qu’est-ce qu’Ayla avait donc emporté ?

  — Arrête, Loup !

  Ayla s’élança à la poursuite du louveteau, et Jondalar ne put retenir un sourire. On aurait dit que Loup savait qu’il faisait des bêtises, et qu’il taquinait Ayla pour l’obliger à jouer avec lui. Il avait trouvé un de ses chaussons, un mocassin souple qu’elle portait à l’intérieur de la tente quand le sol était gelé, ou froid et humide, pendant qu’elle aérait ses bottes, ou qu’elle les faisait sécher.

  — Qu’est-ce que je vais faire de lui ? gémit Ayla, exaspérée.

  Elle revenait vers Jondalar, tenant à la main l’objet du dernier chapardage de Loup. Elle jeta un regard sévère au chenapan. Loup s’avança en rampant, la mine déconfite, avec des petits gémissements en signe de soumission en réponse au mécontentement d’Ayla. Mais une pointe d’espièglerie se cachait derrière sa détresse. Il savait qu’Ayla l’aimait, et dès qu’elle se laisserait apitoyer. Il se mettrait à frétiller en jappant de plaisir, de nouveau prêt à jouer.

  De la taille d’un adulte, plus mince cependant, Loup n’était encore qu’un louveteau. Il était né hors saison d’une louve dont le compagnon était mort. Son pelage tirait sur le gris – mélange de poils blancs, fauves, marrons et noirs, dont l’ensemble, d’une couleur indéfinie, permet aux loups de se fondre dans un paysage de broussailles, d’herbe, de terre, de roches ou de neige. Mais sa mère avait le poil noir.

  C’était cette couleur inhabituelle qui avait incité les autres femelles de sa bande à la harceler sans merci, à lui donner le plus bas statut du groupe et, finalement, à la chasser. Elle avait erré en solitaire, apprenant à survivre hors des territoires des bandes, jusqu’à ce qu’elle rencontre un autre solitaire, un vieux mâle qui avait quitté sa bande où il n’avait plus sa place. Au début, ils se débrouillèrent bien. Elle était plus robuste à la chasse, lui, plus expérimenté, et ils avaient même réussi à établir et à défendre un petit territoire. Était-ce le meilleur régime alimentaire qu’ils pouvaient s’assurer grâce à leur chasse commune, ou la présence permanente aux côtés de la louve d’un compagnon, ou encore ses propres prédispositions génétiques qui lui avaient permis d’avoir une période de rut hors de la saison des amours ? Toujours est-il que son compagnon ne s’en plaignit pas, et n’ayant pas de rival à vaincre, il avait pu volontiers la satisfaire.

  Malheureusement, ses vieux os, raidis par l’âge, n’avaient pas résisté aux ravages d’un nouvel hiver rigoureux dans les steppes périglaciaires. Le début de la saison froide avait eu raison de lui. Ce fut une perte accablante pour la femelle noire, livrée à elle-même pour mettre bas... et en plein hiver. L’environnement naturel ne tolère guère les animaux déviants, et les cycles saisonniers renforcent cela. Une louve noire, dans un paysage d’herbe roussâtre, de terre gris-jaune ou balayé par des rafales de neige, est trop facilement repérée par les rares proies en hiver. Sans compagnon, sans famille pour prendre soin d’elle et de ses petits et l’aider à se nourrir, la femelle s’était affaiblie, et ses bébés avaient succombé l’un après l’autre. Il n’en était bientôt resté plus qu’un.

  Ayla connaissait les loups. Dès qu’elle avait commencé à chasser, elle avait observé leurs mœurs, mais comment aurait-elle deviné que le loup noir, qui avait essayé de lui voler l’hermine qu’elle venait d’abattre avec sa fronde, était une mère affamée, encore en train d’allaiter ? La saison de la reproduction était passée. Lorsqu’elle avait voulu récupérer sa fourrure et que, contre toute attente, le loup l’avait attaquée, Ayla l’avait tué pour se défendre. C’était alors qu’elle s’était aperçue de l’état de l’animal. Elle en avait déduit qu’elle avait eu affaire à une louve solitaire, et éprouvant une étrange affinité avec l’animal chassé de sa bande, elle s’était mise à la recherche des petits orphelins qui ne trouveraient personne d’autre pour les adopter. Elle avait suivi les traces de la louver jusqu’à sa tanière, puis elle avait rampé à l’intérieur où elle avait trouvé le dernier petit survivant, les yeux à peine ouverts et pas encore sevré. Elle l’avait pris et l’avait rapporté au Camp du Lion.

  Lorsqu’Ayla leur avait montré le minuscule bébé loup, tout le monde avait été surpris, mais déjà elle était arrivée dans ce Camp avec des chevaux qui lui obéissaient. On s’était habitué à leur présence et à cette femme étrange qui s’entendait si bien avec les animaux. Et puis, tout le monde se demandait ce qu’elle allait faire de ce loup. Qu’elle pût l’élever et le dresser en avait étonné plus d’un. Jondalar, lui-même, était encore ébahi par l’intelligence de l’animal. Une intelligence presque humaine.

  — J’ai l’impression qu’il te taquine, Ayla, dit Jondalar.

  Ayla regarda Loup et ne put réprimer un sourire. Aussitôt, le louveteau redressa la tête et sa queue fouetta le sol.

  — Tu as sans doute raison, mais ça ne m’aidera pas à l’empêcher de mâchonner tout ce qu’il trouve, répondit Ayla en contemplant le chausson déchiqueté. Autant lui laisser celui-là. Il l’a déjà mis en pièces, et tant qu’il jouera avec, il ne touchera peut-être pas le reste.

  Elle lui jeta le chausson qu’il attrapa au vol d’un bond avec, Jondalar l’aurait juré, un sourire moqueur.

  — Dépêchons-nous, fit-il en se souvenant qu’ils n’avaient pas beaucoup progressé la veille.

  Une main en visière pour se protéger du soleil qui se levait à l’est, Ayla scruta les alentours. Elle aperçut Whinney et Rapide dans la prairie herbeuse, derrière la bande de broussailles qui longeait le coude de la rivière. Elle siffla, un sifflement proche, mais différent tout de même, de celui qu’elle utilisait pour appeler Loup. La jument à la robe louvette dressa la tête, hennit et accourut au galop. Le jeune étalon la suivit.

  Ils plièrent la tente, chargèrent les chevaux, et s’apprêtaient à lever le camp quand Jondalar décida de répartir les piquets de la tente dans un panier et ses sagaies dans un autre pour équilibrer son chargement. Ayla attendait, adossée à Whinney. Elles aimaient toutes deux cette position qu’Ayla avait adoptée quand la pouliche était sa seule compagne dans la vallée riche mais déserte où elle vivait alors.

  Elle avait tué la mère de Whinney aussi. Elle chassait déjà depuis des années, mais seulement avec sa fronde dont elle avait appris seule à se servir. Elle pouvait la cacher facilement, et elle avait justifié cette transgression des tabous du Clan, en utilisant sa fronde uniquement contre les prédateurs qui chassaient les mêmes proies que les hommes, et leur volaient parfois leur viande. Le cheval fut le premier gros animal à chair abondante qu’elle tua, et ce fut aussi la première fois qu’elle se servit d’une lance.

  Si elle avait été un garçon, le Clan l’aurait autorisée à se servir d’un épieu, et c’eût été sa première chasse. Mais une femme qui utilisait un épieu devait mourir. Elle avait tué le cheval pour manger. Mais en creusant le piège, Ayla n’avait pas prévu qu’une jument en train d’allaiter y tomberait. Lorsqu’ensuite elle avait aperçu le poulain, son cœur s’était serré, sachant sa mort certaine sans sa mère. Pourtant, elle n’avait pas pensé à le recueillir et à l’élever. Pourquoi y aurait-elle songé. Personne n’avait encore fait une chose pareille.

  Mais lorsque des hyènes s’en étaient prises au poulain effarouché, Ayla avait repensé à celle qui avait essayé d’emporter le bébé d’Oga. Ayla détestait les hyènes, peut-être à cause de l’épreuve qu’elle avait dû affronter quand elle en avait tué une, dévoilant ainsi son secret à tous. Elles n’étaient pas pires que la plupart des autres prédateurs ou charognards, mais elles symbolisaient, aux yeux d’Ayla, la cruauté, le vice et le mal. Sa réaction ce jour-là avait été la même que la première fois, et les pierres qui avaient jailli de sa fronde avaient été aussi efficaces. Elle avait tué une hyène, mis les autres en fuite, et secouru le jeune animal sans défense. Mais cette fois, au lieu du bannissement, elle avait trouvé un compagnon à sa solitude, et les joies d’une relation affective extraordinaire.

  Ayla avait pour
le louveteau l’amour d’une mère pour un enfant charmant et intelligent, mais ses sentiments envers la jument étaient différents. Whinney avait partagé son isolement, et elles s’étaient toutes deux rapprochées autant qu’il était possible à deux créatures aussi dissemblables. Elles se connaissaient bien, se comprenaient, et se faisaient confiance. La jument louvette n’était pas seulement un animal utile, ni même un enfant aimé, elle avait été son unique compagne pendant des années, c’était son amie fidèle.

  La première fois qu’Ayla avait grimpé sur le dos de Whinney et l’avait chevauchée au triple galop, ç’avait été un acte spontané, irrationnel. Et la griserie de cette cavalcade l’avait incitée à recommencer. Au début, elle n’avait même pas essayé de diriger la jument, mais elles étaient si proches que leur compréhension mutuelle avait grandi à chaque sortie.

  En attendant que Jondalar eût terminé, Ayla regardait Loup mâchonner son chausson et se dit qu’il fallait trouver un moyen de canaliser ses instincts destructeurs. Elle enregistra machinalement les détails de la végétation qui poussait sur le bout de terrain où ils venaient de camper. La rivière, qui butait sur le haut talus escarpé de la rive opposée, inondait chaque année la berge en pente douce, déposant un terreau fertile qui nourrissait une grande variété de broussailles, d’herbes, d’arbustes et au-delà, les gras pâturages. Partout où elle allait, Ayla prêtait attention aux plantes. C’était une seconde nature, et grâce à un savoir enraciné au point d’en être devenu presque un instinct, elle cataloguait tout ce qui poussait et en répertoriait l’usage.

  Elle vit un arbousier raisin d’ours, arbuste nain qui poussait dans la lande, aux petites feuilles coriaces et persistantes d’un vert foncé, les branches chargées de clochettes blanches teintées de rose, promesse d’une récolte abondante de baies rouges. Amères et astringentes, on pouvait les adoucir en les cuisant avec d’autres aliments. Mais les baies, Ayla le savait, étaient plus qu’une nourriture, leur jus soulageait la brûlure que cause parfois la miction, surtout lorsque l’urine est mêlée de sang.